Révisez vos classiques (et deux fois plutôt qu'une!)
Coucou, c'est Mary!
Eh oui, j'ai de plus en plus de mal à tenir ce blog théâtral à jour! Pourtant il y a des spectacles dont j'aurais aimé vous parler, mais... manque de temps, et puis si je vais les voir vers les dernières représentations, ça me laisse peu de temps pour vous en parler tant qu'elles se jouent encore, ces pièces. J'espère donc que vous n'avez pas loupé "La guerre de Troie n'aura pas lieu" au Parc en janvier (enfin "pour les amateurs de rhétorique" selon le Soir... C'est vrai que le texte n'est pas des plus faciles et léger et que ça durait 2h30 mais c'était si bien joué et mis en scène... Moi j'ai adoré!).
Enfin, bref, je vais donc aujourd'hui vous parler d'une pièce et
d'un spectacle. Le spectacle, c'est trop tard pour le voir en
Belgique... Mais j'ai envie de vous en toucher un mot quand même parce
que si vous avez l'occasion de les voir passer quelque part pas loin de
chez vous, il faut y aller...
Enfin, je commence par la pièce, car elle se joue encore.
Il s'agit de "Mephisto for ever", d'un auteur flamand, Tom Lanoye, librement inspiré d'un roman de Klaus Mann, et adapté ici en français (pour la première fois) par Alain van Crugten.
La pièce se joue en ce moment, et jusqu'au 29 mars, au théâtre de la place des Martyrs (http://www.theatredesmartyrs.be/pages%20-%20saison/grande-salle/piece5.html).
L'intrigue,
en quelques mots: une troupe de théâtre répète "Hamlet", ou plutôt,
attend la comédienne principale (juive) pour commencer les répétitions.
Mais voilà, on est jour d'élections et la ville est dangereuse.
Lorsqu'enfin la troupe est au complet, la nouvelle tombe comme un
couperet. "Ils" ont gagné. Le National Sozialism a remporté les
élections. Dès lors, que faire? Fuir? C'est ce que feront les
comédiennes juives, même si l'une reviendra au pays plus tard... Se
réjouir? Rester et résister? Chacun prend la décision qu'il croit la
bonne, et rapidement, le nouveau ministre de la culture va venir nommer
directeur du théâtre le comédien vedette et metteur en scène de ce
Hamlet, Kurt Köpler. Moyennant quelques petits arrangements (le
ministre est amoureux d'une comédienne au talent douteux, mais elle sera
bien sûr à l'affiche...). Kurt accepte car il veut résister de
l'intérieur et offrir un message subversif via sa programmation
théâtrale.
La pièce présente alors les répétitions, les douleurs, les
haines, les oppositions, les nécessaires compromis, les déchirures de
ce groupe d'hommes et de femmes durant cette période oh combien trouble
et violente qui va de la montée du nazisme jusqu'à la fin de la 2ème
guerre mondiale.
La pièce n'est donc pas particulièrement légère, ni drôle. Même si certaines réflexions ne manquent pas de cynisme. Dans
les thèmes, on a à la fois une réflexion sur le théâtre, l'authenticité
du comédien, les 4 P : Poésie, Perversion, Passion, Plaisir (moi je
connaissais les 4 P du marketing mix, rien à voir! ;-P), et surtout,
une réflexion sur les liens entre le théâtre (et l'art en général) et
la politique.
On
croise de nombreux extraits d'auteurs du répertoire, au détour d'une
répétition, chacun s'appropriant les mots de son rôle, chaque scène
prenant un sens différent à la lumière des événements et du contexte,
les comédiens se servant des textes pour exprimer leurs sentiments et
leurs doutes.
Le texte fait la part belle à Shakespeare (Hamlet bien
sûr, mais aussi Jules César ou Roméo et Juliette,...), à Tchékhov (on
reconnait 'La cerisaie' et 'La mouette'), ainsi qu'à Goethe et son
Faust, Allemagne oblige et surtout, Méphisto oblige!
(Angelo Bison et Stéphane Excoffier)
Tout
ça fait qu'au final, c'est peut-être un peu long. La pièce dure 2h10
et, si elle ne m'a pas parue pesante, je n'irais pas jusqu'à dire que
ça passe en un éclair non plus. Il y a certainement quelques longueurs,
des répétitions (c'est le cas de le dire - je veux dire par là, des
réflexions ou des idées qui se répètent, bien sûr!)... Bref, une pièce
dans la réflexion beaucoup plus que dans l'action.
Pour orchestrer tout ça, la mise en scène
d'Elvire Brison joue la carte du son et (surtout) de la vidéo. Le décor
est très dépouillé, la lumière faible ou crue ajoute à l'ambiance
sombre, presque glauque, de certaines scènes, et des écrans reçoivent
les projections d'extraits vidéo, soit pour montrer les scènes
extérieures au théâtre et la guerre qui fait rage, soit pour suivre et
échanger avec les comédiennes exilées.
Tout cela ajoute encore à la
mise en abyme déjà présente dans le texte et augmente encore un peu
plus les niveaux de lecture (entre les répétitions à Berlin, la vie de
la troupe à Berlin, la vie des juives exilées, et ces dernières qui
lisent également du théâtre). Tout ça s'entremêle, créant de nouvelles
perspectives, suggérant et renforçant certaines émotions, mais perdant
parfois aussi un peu le spectateur en ajoutant une distanciation un peu
trop importante (idem pour des éclairages globalement 'en noir et
blanc', on est moins directement dans le propos, on a l'impression que
ce n'est que du passé...).
Le jeu des comédiens est
globalement très bon! J'épinglerai particulièrement Angelo Bison, qui
interprète Kurt Köpler avec beaucoup de nuances et tout en retenue et
en intériorisation (son "je.... je... je...." final résume les doutes
et les ambiguités du personnage qui ne sait plus lui même s'il a bien
ou mal agi). Angelo Bison excelle dans ce genre de registre (n'empêche
que j'aimerais bien le voir une fois jouer quelque chose de plus léger,
ou autre chose, parce que je l'ai vu récemment dans 'Nature morte dans
un fossé', très bien aussi mais j'ai un peu l'impression qu'il se répète
d'un rôle à l'autre... Enfin ça n'empêche que dans 'Mephisto for ever'
il est très bon!).
Bernard Sens campe un extraordinaire ministre de
la culture... entre bonhommie et autoritarisme... personnage que je
trouve très ambigu : il adhère au parti nazi, il est antisémité, et
pourtant, il admire le comédien Kurt Köpler, il aime le théâtre, il
voudrait le laisser jouer la programmation qu'il a choisie, même si
elle ne colle pas à la propagande du Reich... à laquelle il semble pourtant croire...
Itsik Elbaz est
également impressionnant dans les 2 rôles qu'il interprète. D'abord
militant d'extrême droite déçu d'avoir remplacé des oppresseurs
bourgeois par d'autres intéressés également par l'argent (dans ce rôle,
il mélange un cynisme glacial et des convictions défendues, j'allais
dire, avec pureté), il joue ensuite le ministre de la propagande avec
beaucoup de brio (rendant le type particulièrement détestable.
Son discours en 10 points pour défendre la politique d'Hitler et
rassurer le peuple en démontant les arguments des alliés est un
véritable morceau de bravoure qui fait froid dans le dos!)
Enfin,
Stéphane Excoffier est très juste dans 2 rôles pourtant opposés: la
comédienne juive exilée Rebecca Füchs et Linda Lindenhoff, maîtresse du
ministre de la culture et piètre actrice. Quant à John Dobrynine, il
est particulièrement intéressant dans le 2ème rôle qu'il interprète, le
'nouveau leader'... Mais son interprétation de Victor Müller, ancien
directeur du théâtre et sympatisant communiste, est très juste
également.
Bref... une pièce à voir pour le jeu des acteurs et surtout pour la réflexion
qu'il y a derrière et qui ne manquera pas de vous interpeler (et qui
est traitée avec intelligence et sans parti pris dans la pièce!): quel
lien l'art peut-il entretenir avec la politique? Doit-il dénoncer, et
le peut-il? Quel impact une pièce de théâtre peut-elle avoir sur les
gens? En période de crise, de guerre, est-ce futile de continuer à
jouer? Ou au contraire, faut-il continuer à offrir cet échappatoire aux
gens, ce moyen de rêver, d'imaginer? Peut-on réveiller les consciences
par le théâtre? Les artistes doivent-ils fuir ou au contraire résister
et tenter de trahir le système de l'intérieur? Jusqu'où peuvent-il
accepter les compromis et la collaboration pour pouvoir continuer à
exercer leur art? Et est-ce que le jeu en vaut la chandelle? Comment
vivre et retravailler ensemble, "après"? Qu'aurait-on fait, à leur
place?
Personnellement je pense que l'art peut et doit participer à
l'éducation. Et donc, qu'il faut résister et rester. Je pense que
gangrèner le système de l'intérieur doit être possible et que l'impact,
même minime, peut être là et sauver des gens.
Je pense, mais j'en suis pas sûre.
Et le débat reste ouvert!
...
Comme
promis, et pour clôturer ce post sur une note beaucoup plus légère, un
autre spectacle à vous signaler (je l'ai vu vendredi dernier au Jean
Vilar à Louvain La Neuve, c'était un accueil de comédiens français, et
je ne sais pas si ça se joue(ra) encore quelque part, mais c'est
vraiment très chouette et très bien fait alors je vous en parle quand
même...)
Le spectacle s'appelle "La fourmi et la cigale (variations sur un air connu)".
Il est écrit par François Mougenot, qui l'interprète également, avec son frère Jacques,
lequel s'occupe également de la mise en scène (eh oui, les spectacles
en famille, hein... y'en a d'autres qui écrivent père et fils, et ça
donne plutôt bien aussi - quel euphémisme...! ;-) )
Le
spectacle dure 1h20 et reprend différentes scènes confrontant la
besogneuse et prévoyante fourmi, à sa voisine cigale, chanteuse, vivant
pour le plaisir, et qui voudrait bien mendier quelque nourriture
lorsque le froid est là. Bref, vous connaissez tous l'histoire de la
fable de Jean de la Fontaine. Sauf qu'ici, vous retrouvez cette
histoire déclinée "à la manière de" bien des auteurs classiques et plus
contemporains. C'est très très bien rédigé, avec le style, les
tournures de phrases, les mots, les manies, avec une note d'humour en
prime... Vous pouvez vous amuser pendant tout le spectacle, outre à
savourer cette belle langue française si bien tournée, à reconnaitre
les auteurs et les extraits 'parodiés'... Un vrai régal!
Si
vous avez des souvenirs de vos cours de français ou simplement que vous
aimez la poésie et le théâtre, vous devriez reconnaître sans trop de
peine Molière (l'Avare et le Misanthrope), Racine, Shakespeare (la
scène du spectre au début d'Hamlet notamment), Feydeau, Victor Hugo,
Ronsard, Du Bellay, Apollinaire, Prévert... Et dans un autre style,
Audiard et Pagnol, ou encore, Columbo et une série américaine dans le
genre aux 'feux de l'amour'... De tout, dans tous les sens, avec plein
d'humour et de talent, et une belle interprétation pleine de complicité
et de malice, parfois, de justesse, toujours (pas pour rien qu'un des
frères a été prof de théâtre, et non des moindres à ce que dit le
programme!)
Pour conclure, lorsque "le bis" fut venu, par une splendide tirade de ... Cygalo de Bergerac!
A voir si vous en avez l'occasion, et pour vous mettre l'eau à la bouche, j'ai trouvé un extrait vidéo
http://video.jeuxvideopc.com/video/iLyROoaftgmV.html
Voilà, de quoi vous donner l'envie d'aller voir plein de spectacles je l'espère!
Et moi, je vais essayer de suivre mieux que ça pour écrire mes critiques, aussi!
Belle fin de journée à vous!
Mary